Conversion d’un métayage en fermage : une indemnisation pour le bailleur ?

Conversion d’un métayage en fermage : une indemnisation pour le bailleur ?

Conversion d’un métayage en fermage… Le bailleur peut-il demander une indemnisation ?

A propos d’un arrêt de la Cour de cassation : Civ. 10 octobre 2019, 17.28-862

Par François-Xavier Bernard, avocat en droit rural

Si le métayage est un bail rural, il se distingue du bail à ferme dans lequel le propriétaire perçoit un loyer déterminé d’avance, en argent, dont le montant est encadré par un arrêté préfectoral.

Le métayer, quant à lui, doit partager avec le bailleur les produits de l’exploitation, ou le fruit net de leur vente, dans la limite d’un tiers pour le propriétaire (c’est la règle du tiercement qui figure à l’article L 417-3 du code rural).

Le preneur — et non le bailleur — est en droit de demander la conversion du métayage en fermage, notamment lorsque le bail en place depuis huit ans et plus ( C. rur. et pêche maritime, art. L. 417-11,al. 4).

Cette conversion est alors de droit, à savoir qu’elle ne peut être refusée par le bailleur, le preneur pouvait saisir le tribunal paritaire des baux ruraux pour solliciter la conversion judiciaire en cas de refus.

Dans un arrêt du 10 octobre 2019, la Cour de cassation a, pour la première fois, à notre connaissance, posé une limité à cette conversion automatique. (17-28862)

Dans cette espèce, la conversion sollicitée par le preneur était de droit, le bail ayant plus de 8 ans.

Le GFA bailleur avait refusé la conversion en se fondant sur les dispositions de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de libertés fondamentales (CEDH) :

« toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ».

Autrement dit, selon lui, cette conversion qui lui était imposée par la loi et par le tribunal paritaire des baux ruraux, portait atteinte à son droit de propriété, qui l’autorise à jouir de son bien comme il l’entend (et donc de conclure un bail à métayage)

On aurait pu prétendre aussi, sans doute, que la loi portait atteinte à la liberté contractuelle du bailleur, en le forçant à modifier son bail.

La Cour d’appel de DIJON avait admis la conversion et rejeté l’argument du bailleur, aux motifs suivants :

  • le législateur national dispose d’une grande latitude pour mener une politique économique et sociale et concevoir les impératifs de l’utilité publique ou de l’intérêt général, sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable. La conversion du bail à métayage est fondée sur l’objectif d’intérêt général tendant à privilégier la mise en valeur directe des terres agricoles et spécialement à donner à l’exploitant la pleine responsabilité de la conduite de son exploitation.
  • certes le paiement d’un fermage, dont le montant est encadré par la loi, peut apporter au bailleur des ressources moindres que la part de récolte stipulée au bail à métayage. Néanmoins, la conversion en bail à ferme n’est pas dépourvue de tempéraments et de contreparties, de sorte qu’un juste équilibre se trouve ménagé entre les exigences raisonnables de l’intérêt général et la protection du droit au respect des biens du bailleur, les limitations apportées au droit d’usage de ce dernier n’étant pas disproportionnées au regard du but légitime poursuivi.

La Cour de cassation casse l’arrêt au visa de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la CEDH, dans un attendu de principe :

« en statuant ainsi, sans rechercher concrètement, comme il le lui était demandé, si la conversion du métayage en fermage, en ce qu’elle privait le GFA de la perception en nature des fruits de la parcelle louée et en ce qu’elle était dépourvue de tout système effectif d’indemnisation, ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de ses biens au regard du but légitime poursuivi, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Autrement dit, la Cour d’appel de Dijon aurait dû vérifier concrètement, dans l’espèce, si la conversion ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit du bailleur : notamment au regard du fait que la conversion ne s’accompagnait pas d’une indemnisation au profit du bailleur.

La Cour de cassation ne dit pas que toute conversion d’un métayage en fermage est illicite, mais plus modestement que si le bailleur prétend et démontre que l’opération porte une atteinte disproportionnée à ses droits, alors la conversion pourrait être rejetée…

A moins qu’elle ne soit accordée par le tribunal, mais accompagnée d’une indemnisation corollaire versée par le preneur ? Et qui fixera cette indemnisation ? Et comment ? A dire d’expert ?

La décision est très intéressante, mais il faut attendre l’arrêt de la Cour de renvoi de Besançon (pas avant 2020 ou 2021) pour en savoir plus… sachant que cet arrêt pourra lui-même faire l’objet d’un pourvoi en cassation !

Mais l’argument peut d’ores et déjà être soulevé par le bailleur, attrait devant le tribunal paritaire des baux ruraux par le métayer qui sollicite la conversion ; il conviendra d’argumenter, bien sûr, en faisant valoir par exemple l’ancienneté du métayage, le caractère traditionnel de celui-ci dans la région ou l’activité considérée, la clé de répartition des charges et produits, la circonstance que le bailleur ne dispose pas d’autres métayages sur ses terres…

Et subsidiairement, le bailleur sera bienvenu de réclamer –pour le cas où le tribunal ne rejetterait pas la demande de conversion – une indemnité qui pourrait dissuader le métayer de maintenir ses prétentions.

François-Xavier BERNARD- Avocat en droit rural.